Des alternatives pour tous les usages
On ne s’en sortira pas en opposant les solutions. Mais des choix s’imposent, dans un contexte où la souveraineté d’un mix-énergétique de la France, et de l’Europe, conjuguée à sa réindustrialisation (surtout celle de la France, qui a perdu des points et voit sa balance commerciale continuellement se dégrader), vont devenir vitaux.
Entre le ferroviaire et la route, entre l’électrique et des solutions qui, certes imparfaites, sont préférables au statu quo, les transports routiers sont au coeur du débat. Pour la production d’énergie et pour la consommation d’énergie. Quand un sondage récent crédite de 37% seulement, les Français qui pensent passer à l’électrique, pour des raisons de coût du véhicule principalement, alors même que la voiture occupe une place prépondérante dans nos déplacements, il y a de quoi réfléchir. De quoi réfléchir aussi, lorsque pour la décarbonation des modes lourds n’a pas encore de feuille de route réaliste, si on en croit les parties prenantes à son élaboration réunies le 24 mai dernier par le gouvernement.
Dans ce domaine, il faut manifestement se garder de toute approche statique; elle fige la réflexion, et on n’aboutit qu’à une opposition stérile des solutions. Renvoyer dos à dos les solutions technologiques n’est pas dans l’habitude des experts que nous avons interrogés. Même s’ils sont prudents, ils jettent des perspectives qui toutes nous incitent à adopter plutôt une approche dynamique. Il n’y a pas jusqu’au coup de force effectué par les Allemands, rejoints par les Italiens notamment, lors de l’adoption de la législation européenne sur les normes d’émissions de CO2 des voitures, et l’interdiction de la vente des véhicules thermiques à l’horizon 2025, qui ne donne matière à réflexion; pas pour se réjouir d’une brèche dans le « tout électrique », sans doute inéluctable pour les voitures, mais bien plutôt pour essayer d’imaginer les conséquences de la concession faite aux e-fuels.
HVO accessible à la vignette Crit-Air 1?
Daphné Lorne, ingénieure-économiste à l’IFP Energies Nouvelles, témoigne : « Même si l’initiative allemande a pu surprendre, et ouvrir une brèche symbolique dans le tout électrique, n’est pas inintéressant pour les biocarburants »Elle ajoute : « L’intérêt des biocarburants réside d’une part dans le fait qu’ils constituent une solution immédiate et d’autres part, il y aura encore un certain temps en circulation un nombre significatifs de véhicules thermiques pour lesquels il faut bien une solution pour le parc existant. Certains biocarburants sont bien connus, comme les EMAG (1), pouvant être utilisés sous forme de B100 (incorporé à 100% en volume) moyennant une légère adaptation des moteurs diesels.. Une solution déjà normalisée qui n’est pas spécifiquement française (d’ailleurs, l’Allemagne est, avec la France, un des principaux pays producteur). Le HVO, (2), son poursuivant direct, relève d’une technologie différente (mais mobilise la même ressource). On a là une solution qui ne nécessite aucune adaptation moteur même à haute teneur, mais qui coûte sensiblement plus cher à produire. J’ajoute que si certains raffineurs produisent de l’HVO en co-processant (co-processing) des charges fossiles et biomasses, il n’y a pas vraiment de raison qu’il demeure inaccessible à la vignette Crit’Air 1, lorsqu’il est produit intégralement à partir de ressources renouvelables, comme c’est le cas à la raffinerie Total Energies de la Mède notamment. En définitive, c’est presque plus avantageux pour les constructeurs, et les transporteurs ».
Des carburants alternatifs pour tout le monde?
Parmi les carburants alternatifs, des hydrocarbures de synthèse peuvent être produits via un procédé bien connu : le procédé « Fischer-Tropsch (FT) » (3), à partir de gaz de synthèse (CO et H2) produit notamment par gazéification de la biomasse. La réaction FT est une polymérisation de CO et H2 qui met en jeu des réactions d’initiation, de propagation et de terminaison de chaînes pour générer une distribution en produits hydrocarbonés à longues chaînes pouvant contenir jusqu’à 100 atomes de carbone. Là encore Daphné Lorne nous éclaire: « C’est aussi un carburant de synthèse qui, comme le HVO, ne nécessite aucune adaptation moteur. Il a une particularité, il mobilise d’autres ressources biomasse. Il ne s’agit plus d’huile ou de graisse, mais une biomasse beaucoup plus diversifiée potentiellement disponible en plus larges quantités (des résidus de récolte, de bois, des déchets de l’industrie agroalimentaires, etc,…). Ce type de solutions est en mesure de réduite les émissions de CO2 d’en moyenne 80% par rapport aux carburants fossiles, sans concurrence d’usage directe avec les ressources alimentaires. Ils sont de ce fait, en ce moment, très soutenue à Bruxelles. Ce sont les fameux biocarburants avancés. Il faudra inévitablement élargir le spectre des solutions pour atteindre les objectifs CO2 très ambitieux fixés au niveau européen ».
« Une des particularités de ces procédés de production de biocarburants de synthèse est qu’ils sont en mesure de coproduire au sein d’une même usine des carburants pour différents modes de transport comme des biogazoles pour le transport routier, fluviale ou maritime, des biokérosènes pour le transport aérien, des bionaphtas pour le pool essence ou la production de bioplastiques notamment, des bioGPL et dans certains cas de l’électricité verte. Considérées comme de véritables bioraffineries, ces usines sont ainsi en mesure de répondre à de multiples demandes. Si le secteur de l’aérien dispose d’une moindre diversité de solutions alternatives au kérosène fossile, le déploiement des SAF (4) et, notamment des biokérosènes de synthèse, va, via ces bioraffineries, permettre de mettre sur le marché différents types de biocarburants pouvant répondre aux besoins de l’ensemble des modes de transport, pour le transport de passagers comme de marchandises.
Si ce type de bioraffineries sont déjà déployées industriellement pour la voie HVO, nous sommes actuellement aux prémices de l’industrialisation de biocarburants avancés par la voie Fischer-Tropsch, ou BtL. Ces carburants à hautes performances énergétiques et environnementales ont un surcoût qu’il convient d’intégrer dans les politiques de soutien aux énergies renouvelables ».
1 EMAG : Esters Méthyliques d’Acides Gras
2 HVO : Hydrotraited Vegetable Oil
3 SAF : Sustainable Aviation Fuels