C'est à une véritable ambition qu'appellent les signataires de la tribune publiée, samedi 11 novembre, par "Le Monde". Une ambition pour les gares routières, mais aussi, au fond, pour le mode routier.
Présentation et analyse.
On s’en souvient, le 7 septembre 2023, la Mairie de Paris annonçait la fermeture de la gare routière de Bercy-Seine aux autocars longue distance (SLO, des "services librement organisés"). Alors que cette gare routière est la plus fréquentée du pays : entre 3,7 et 4,55 millions de voyageurs en 2022, et sans que les principaux intéressés - les opérateurs longue distance eux-mêmes - n'aient été prévenus.
On imagine sans peine leur stupéfaction. Surtout on imagine les difficultés à venir pour les voyageurs, si les dits opérateurs ne trouvent pas une solution de remplacement. Annoncée pour « après les JO », l’annonce de la fermeture de la gare routière prend place dans le cadre qui lie les opérateurs et le gestionnaire de l’infrastructure (une SEM), où la Mairie de Paris est majoritaire.
Des gares tombées dans l'oubli éditorial.
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Comme l’indiquent les auteurs de la tribune parue dans « Le Monde », cette situation est « le symptôme d’un oubli originel : en 2015, la loi a libéralisé le transport régulier de voyageurs par autocar mais n’a pas prévu la création d’un réseau national de gares routières. Dès lors, même si l’autocar est maintenant plébiscité par des millions de Français, le manque d’infrastructures empêche le développement de cette solution de mobilité partagée ». Autrement dit, il n’y a pas pour ces services privés d’autorité organisatrice responsable comme pour les services publics. Mais une régulation de l’activité. Il ne s’agit pas à proprement parler d’un transport collectif au sens où l’entend la loi. Mais d’une activité qui revêt, indéniablement, un caractère d’intérêt général.
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« Ce serait donc une erreur de priver des millions de Français, notamment les plus modestes, d’un moyen de transport qui repose sur l’efficience du réseau routier français, l’un des plus importants en Europe, et qui peut facilement s’adapter aux évolutions des habitudes de déplacement » poursuivent les auteurs. A défaut de pouvoir flécher une autorité compétente, une collectivité qui par définition est responsable de ce qui se passe sur son territoire, trois piliers sont proposés afin de constituer un « standard » de référence. Ils peuvent s’appuyer sur les travaux du Cerema pour garantir l’homogénéité du futur réseau de gares routières, tout en les rendant plus conformes aux attentes des voyageurs.
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On sait le paradoxe que constitue la gare routière de Bercy - Seine et elle n’est pas la seule: elle a le mérite d’exister, et peut-être de servir demain au parking des autocars de tourisme, mais pas d’être une référence en termes de qualité de service. Et la tribune de citer l’emplacement en centre-ville (ou immédiate périphérie) ; la multimodalité avec l’offre ferroviaire et les transports en commun ; le haut niveau de sécurité, d’hygiène et de services (billetterie ; commerces ; restauration ; avitaillement), l’accès et l’accessibilité aux personnes à mobilité réduite 24 heures sur 24 pour garantir l’offre de cars de nuit.
Il y a en France et à l’étranger, des bonnes pratiques qui peuvent servir de base.
Ce standard permettra de rattraper le retard français et de doter le pays d’infrastructures similaires à ce que les usagers peuvent trouver dans d’autres villes européennes (Londres, Milan, Amsterdam, Madrid). Comme si la libéralisation des services routiers nationaux avait constitué l’alpha et l’omega de la réforme entreprise en 2015, faisant du transport routier un parent pauvre du transport public en France. Ce n’est évidemment par faire justice aux initiatives prises par nombre de départements et puis des régions, au moment du transfert de compétence en la matière. Des lignes de car express se sont développées, même si le « haut niveau de service " arrive à son heure avec le rapport de Français Durovray, le président du département de l’Essonne. Et là encore, les auteurs de citer, parmi d’autres, « la success story » d’un car : « la navette », qui relie plus de 300 fois par jour Marseille et Aix-en-Provence. Il est vrai que certaines régions ont davantage joué la complémentarité des modes que d’autres. Que cette façon d’étoffer l’offre ait pu s'effectuer pour des raisons de contraintes géographiques, d’importance des flux ou par pur pragmatisme. "Tout vient à point à qui sait attendre".
Si le sujet arrive maintenant, ce n’est pas par hasard.
Au-delà d’un standard, il faut en effet un financement. Les auteurs donnent une piste, en plus d’évoquer les caractéristiques essentielles que devrait respecter une gare routière. Le plan qu’ils appellent de leurs voeux, pourrait « être financé en partie par l’enveloppe prévue au projet de loi de finances 2024 : de 600 millions à 700 millions d’euros pour les infrastructures routières (issus du budget de l’Agence de financement des infrastructures de transport de France) seront alloués à de nouveaux projets routiers. Une partie importante de ce budget devrait être dévolue au futur plan « gares routières ». « Par ailleurs, indiquent les auteurs, la Commission européenne vient de débloquer 7 milliards d’euros pour des projets d’infrastructures dans l’Union européenne, notamment les « pôles d’échanges multimodaux de voyageurs ». Les Etats membres peuvent prétendre à cette dotation jusqu’au 30 janvier 2024 ».
Si la mèche a sans doute été allumée involontairement par la Mairie de Paris, probablement préoccupée par des enjeux locaux, l’annonce impromptue de la fermeture de la gare routière de Bercy-Seine a permis de relancer la problématique de ces gares routières conformes à un standard de services et de qualité sans lesquelles les services routiers, qu’ils soient des « SLO » ou des services publics, ne peuvent correspondre aux attentes des voyageurs. Certains prendront le train, d’autres l’autocar. La palette des solutions semblent s’étoffer pour réaliser un « choc d’offre » - au moins, cela semble maintenant être le cas dans le débat public. Il semble en aller de même pour le covoiturage qui a trouvé sa place, comme le mode routier, dans le dispositif des services express régionaux métropolitains (SERM).
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Un plan national ambitieux en faveur des gares routières pour bâtir la mobilité décarbonée de demain.
Ce plan pourrait évidemment être mis en application grâce aux futurs services express régionaux métropolitains prévus par la proposition de loi du député (Renaissance, Bouches-du-Rhône) Jean-Marc Zulesi par ailleurs cosignataire de la tribune. L'opinion est en effet de plus en plus partagée que notre pays a besoin des véritables pôles d’échanges multimodaux pour favoriser les modes de transport les plus écologiques et les mobilités partagées: train, autocar, mais aussi covoiturage, autopartage, vélo, etc.). Un bouquet de solutions qui articulent des transports collectifs et des solutions qui bénéficient d’un soutien public parce qu’elles revêtent, quelque part, le caractère d’une activité d’intérêt général.
Comme toutes les infrastructures présentes et futures, elles devraient évidemment être préparées à la transition énergétique dont les contours se dessinent peu à peu au niveau de l'Union européenne ce mois-ci, justement. On sait, à cette date, qu’elle prend la forme exclusive de la mobilité électrique pour les voitures et pour les bus.
Les signataires de cette tribune parue le 11 novrembre 2023 : Jean-Sébastien Barrault, président de la Fédération nationale des transports de voyageurs ; Christophe Bouillon, président de l’Association des petites villes de France et président de l’Agence nationale de la cohésion des territoires ; André Broto, auteur de Transports : les oubliés de la République (Eyrolles, 2022) ; Nicolas Brusson, cofondateur et directeur général de Blablacar ; Jean Coldefy, président du comité scientifique de France Mobilités et président de l’Union routière de France ; Bruno Gazeau, président de la Fédération nationale des associations d’usagers des transports ; Fabienne Keller, députée européenne (Groupe Renew Europe) ; Jean-François Longeot, sénateur (UDI, Doubs), président de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable du Sénat ; Jean-Pierre Orfeuil, professeur émérite de l’université Gustave-Eiffel, auteur de L’Autocar express, une solution pour les déplacements longs de la vie quotidienne ? (La Fabrique de la Cité, 2022) ; Michel Quidort, président de la Fédération européenne des voyageurs ; Philippe Tabarot, sénateur (LR, Alpes-Maritimes) ; André Schwämmlein, directeur général du groupe Flix ; Jean-Marc Zulesi, député (Renaissance, Bouches-du-Rhône), président de la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire de l’Assemblée nationale.