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Jean-Sébastien Barrault, président de la FNTV répond à Eric Ritter

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La décarbonation des transports : la FNTV a rendu sa copie. Comme d'autres parties prenantes à l'élaboration de la feuille de route de la nouvelle stratégie bas-carbone, elle plaide pour un scénario qui ferait la part à une pluralité de solutions, dont le biogaz plutôt que le « tout électrique »

 

Eric Ritter : Comme il représente 30 % des émissions de gaz à effet de serre (et seulement 2,7% pour les cars et bus), et 30 % de la consommation d’énergie totale de notre pays, un constat que l'on fait pour presque toutes économies développées, le secteur des transports est parfois stigmatisé. Cela signifie aussi, comme le pense Clément Beaune, le ministre des transports, que « le secteur des transports offre de nouveaux leviers pour réussir la transition écologique, et que les transports publics doivent être exemplaires » (Assemblée nationale). Que vous inspire cette déclaration ?

Jean Sébastien Barrault : Je pense que l'on doit envisager une vraie transition énergétique, et non une rupture. C'est ma première conviction. Les mots ont, en effet, un sens. Sous couvert d'une transition dont on aurait, en réalité, modifié la substance, on ne peut contraindre les acteurs à avancer à marche forcée. Ceci est particulièrement vrai pour les adhérents de la FNTV, mais pas uniquement. J'ai à l'esprit la démarche adoptée au niveau européen pour les voitures thermiques, et le sentiment que peut se jouer une partition identique, ou similaire, pour les modes lourds. La tentation est là, en tout cas.

Ma deuxième conviction, partagée par la profession depuis très longtemps, est qu'il ne faut pas espérer une solution unique, mais bien plutôt, fonder notre démarche commune sur une logique de mix-énergétique, tant la diversité de nos activités est grande. Ainsi, les besoins pour effectuer un service scolaire ne sont pas les mêmes que pour faire du transport touristique, ou du transport longue distance. Tourner le dos aux réalités du métier de transporteur conduira à une impasse. La transition énergétique elle-même pourrait en pâtir. Bien au contraire, il faut que nous nous donnions les moyens d'avancer sereinement et efficacement vers la transition énergétique que nous appelons incontestablement de nos voeux, et qui doit ménager plusieurs types de solution. Tel a été le sens des propositions que nous avons remises aux ministres.

 

ER: La transition énergétique est à prendre au sérieux, pas de doute là-dessus?

JSB: Je voudrais en profiter pour dissiper, en effet, un malentendu. Si tant est qu'il existe. Il ne s’agit pas pour moi, comme la profession, de nier l’urgence climatique. Il s’agit simplement de se demander si, concevoir une approche à marche forcée de la transition énergétique, qui plus est, avec une solution unique, est le meilleur service que nous pouvons lui rendre. La réponse est évidemment non, mais j'ai malheureusement l'impression que la tentation est là, même si nous avons aussi l'impression d'avoir été entendus, durant les travaux de la task force.

Au-delà de la prudence affichée au niveau national, nous avons à l'esprit ce qui a été accompli jusqu'à présent, et aussi engagé au niveau européen. D'un part, on empile un certain nombre de textes français et européens, qui sont parfois en contradiction entre eux, comme ce fut le cas pour la vente des voitures thermiques, finalement interdites en 2035. D'autre part, un scénario d'empilement est une fois de plus en train de se dessiner concernant les normes d'émission des poids lourds (camions, autobus et autocars...). Pour bien illustrer mon propos, je vais commencer par prendre l'exemple des autobus - qui sont utilisés par un grand nombre d’adhérents de la FNTV, une flotte de quelques milliers de véhicules (dont l'Ile de France). En adoptant, pour les autobus, l'objectif du zéro émission nette à l'horizon 2030, comme le prévoit le projet de texte européen, on risque de priver les transporteurs d'une solution adéquate pour desservir des réseaux, certes urbains, mais peu denses. Ce sont des réseaux où les véhicules effectuent beaucoup plus de kilomètres que ceux des centres urbains des métropoles. Dans ce cas, la solution électrique risque de ne pas être adaptée. Les solutions non électriques sont, à terme, possiblement menacées, cette fois en application de la future norme Euro VII, prévue pour 2026/2027. On imagine mal les industriels, et ils me l'ont confirmé, développer des technologies d'autobus diesel ou au gaz pour une période aussi courte (3 ans!).

 

ER : La FNTV, ainsi que d'autres organisations, est signataire de la pétition lancée par l’Association Française du gaz naturel véhicules (AFGNV). Est-ce à dire que la concertation avec l'Etat ne suffit pas?

JSB : Du côté français et européen, on a semblé, dans un premier temps, avoir écarté le mix de solutions énergétiques que nous pensons réaliste. Une telle approche me paraît irréaliste, et contre-productive. Je voudrais pouvoir m'expliquer à ce propos. Avec un calendrier aussi serré pour l'acquisition de véhicules conformes aux nouvelles normes, le risque est grand de voir les transporteurs se tourner massivement vers l'achat de véhicules diesel, lorsque cela sera encore possible. Il faut les comprendre. Ils pourraient légitimement considérer que leurs possibilités de choix vont se refermer, des possibilités qui ne correspondent pas à la réalité des réseaux exploités.

Les transporteurs ont compris que l'on voulait nous engager, depuis quelques années, vers une solution de transition énergétique unique, le véhicule électrique, qui ne correspond pas à tous les cas d'usage qui sont les nôtres. Il me semble plus opportun de travailler avec tous les partenaires, sur l'élaboration d'un calendrier et des possibilités multiples.Voilà la raison pour laquelle nous avons signé la pétition à laquelle vous faites allusion. Ne pas bannir, a priori, les biocarburants, et en particulier le biogaz, afin de laisser des solutions bien meilleures que le statu quo. Ceci pour le réalisme.

J'ai pris auparavant l'exemple des autobus. Prenons maintenant, l'exemple de l'autocar. Celui-ci, il faut bien en avoir conscience, n'en est qu'au début de sa transition énergétique. Ainsi 98 % de nos 66500 autocars, et 86% des immatriculations d'autocars neufs en 2022, sont des véhicules diesel. Le renouvellement du parc est réel, mais les objectifs ne doivent pas être trop ambitieux, et, pour tout dire, impossibles à atteindre. Les biocarburants nous permettraient de nous engager sereinement dans une transition énergétique pragmatique. Et, de plus, avec le biogaz, on encourage une démarche d'économie circulaire, à laquelle, par ailleurs, on se réfère en permanence pour toutes sortes de raison.

 

ER : Mais le gouvernement entend-t-il vos arguments ?

JSB : Nous travaillons avec l'Etat sur ces questions, et notamment comme parties prenantes dans l'élaboration de la feuille de route de décarbonation. Pour autant, nous savons que la France souhaite flécher les biocarburants vers l'aérien, une tendance qu'on observe également au niveau européen. C'est un secteur où la solution électrique n'est pas présente à court terme, pas même, probablement, à moyen terme. A contrario, la solution électrique serait valable pour le transport routier de voyageurs. Encore une fois, il ne s'agit pas de nier les vertus de cette solution, elle en a, mais elle ne correspond pas à tous les cas d'usage qui font le quotidien de nos exploitations. Quant à l'accompagnement financier des transporteurs, il n'est absolument pas à la hauteur des ambitions affichés. Et ce problème est loin d'être résolu.

Un exemple, pour illustrer notre incompréhension. Lorsque le gouvernement annonce, en avril, l’ouverture d'un appel à projets « Écosystèmes des véhicules lourds électriques », dont l’objectif est de soutenir l'acquisition de camions et d'autocars électriques, ainsi que l'installation de bornes de recharge adaptées à leur usage, nous sommes pour le moins surpris. L'opération est dotée d'une enveloppe de 60 millions d'euros, dont 55 millions d'euros seront spécifiquement destinés au transport routier de marchandises, et 5 millions, seulement, aux autocars. Avec un tel dispositif, et donc une aide de 100 000 euros par véhicule, on parvient à financer une cinquantaine d'unités, pour un parc national de 66500 autocars. Ce n'est pas sérieux.

Cette tendance à l'affichage sans les moyens de l'ambition ne date pas d'hier. Ainsi, en 2020, afin d’encourager le développement des véhicules lourds zéro émission, 100 M€ du plan France Relance ont été dédiés au soutien à l’acquisition de camions, autobus ou autocars fonctionnant avec des batteries ou des piles à combustible. Le Gouvernement a annoncé à cette fin la mise en place, pour un maximum de 2 ans, d’un bonus pour l’achat ou la location de longue durée d’un véhicule : 50 000 € pour les camions et 30 000 € pour les autocars, alors qu’on sait qu’un autocar est plus cher qu’un camion ! Nous avons réagi vivement, parce que le bonus était réservé aux seuls véhicules électriques et, qui plus est à cette époque, pour des véhicules qu'il faudrait importer de Chine. L'argument de la production européenne a été repris à propos du bonus électrique pour les voitures. Le Président de la République, lui-même, ou encore le ministre de l'économie, ont indiqué que ce bonus n'avait pas vocation à financer des industries non européennes, chinoises ou autres.

Force est de constater que nous avions les signaux d'alerte, mais que nous n'avons pas véritablement voulu les voir. Nous sommes des pragmatiques. On ne pouvait pas croire à une telle orientation énergétique unique pour tous nos véhicules, toutes nos activités. Pour les raisons que j'ai indiquées, et qui relèvent du bon sens, il n'est pas possible de la soutenir. Nous savons que nous n'avons que des solutions imparfaites à notre disposition, mais qu'elles valent mieux que le statu quo. Si l'on parle bien de transition, on ne pourra pas faire autrement.

 

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  • Rédaction
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