Dissensions
Un grand paradoxe est apparu, en marge de l’évènement des transports publics qui se tenait à Clermont Ferrand cette semaine. Sur les stands, l’atmosphère était aux échanges, et, si on sentait bien que l’avenir demeurait incertain aux yeux de nombreux congressistes, la plupart manifestait un vif intérêt aussi pour les innovations technologiques qui se donnaient à voir. Pour autant, la question des moyens de passer à l’action demeurait à l’esprit de tous.
Invité d’honneur de ces rencontres, le versement mobilité qui provoque des dissensions au sein du secteur, mais aussi en dehors, notamment entre les professionnels de ce secteur et les représentants locaux du Medef.
Louis Nègre l’a dit tout de go au ministre délégué aux Transports, Clément Beaune. « Il n’y a pas deux France. Nous sommes une République une et indivisible ». Le patron du Groupement des autorités responsables de transport (Gart), entendait critiquer l’accord intervenu le 26 septembre entre la présidente d’Ile-de-France Mobilités, Valérie Pécresse (LR), et le gouvernement, lequel permet le relèvement du plafond du versement mobilité (VM) - il est porté au taux de 3,20% sur la masse salariale- alors qu’un refus poli est opposé par le même gouvernent aux réseaux de province.
L’objectif: éviter une nouvelle flambée du pass Navigo qui culmine certes à 84 euros mensuels, mais dont la prise en charge pour moitié par les employeurs alourdie encore la part de financement de la mobilité par ceux-ci, et non par les voyageurs.
Cet accord s’est traduit par des amendements qui ont été intégrés dans la nouvelle version de la première partie du projet de loi de finances pour 2024. Un texte frappé, une nouvelle fois, par l’usage du 49-3, sans possibilité de débat par conséquent, et d’amendements ultérieurs par le réseau d’élus nationaux relais de ceux du transport (Louis Nègre étant lui-mêle sénateur).
Rupture d’égalité
Une rupture d’égalité aux yeux du Gart, dont les adhérents demeurent astreints au taux plafond de 2,2 %.
A l’instar du président (EELV) de la métropole de Lyon, Bruno Bernard, qui investit 2,5 milliards dans les transports sur la mandature 2020-2024, les élus réclament un traitement égalitaire pour franchir le mur de plus de 100 millards d’euros de dépenses d’investissement et de fonctionnement qui se dresse devant eux. La mobilité représente le premier poste de dépenses des autorités organisatrices de la mobilité (AOM) urbaines et régionales. « Elles sont au maximum de leur capacité contributive » souligne leur organisation représentative.
Lors d’une table ronde qui s’est tenu à marge du salon, Clément Beaune, le ministre délégué aux transports, n’a pas fermé la porte à leur revendication. Prudence oblige. « L’accord avec l’Ile-de-France ouvre des perspectives pour le pays tout entier », a-t-il jaugé devant un auditoire dubitatif, considérant cependant que l’avènement des RER métropolitains autour des principales conurbations régionales allait exiger de nouveaux financements. CQFD.
Clément Beaune s’est cependant bien gardé d’en dire plus, en phase avec le projet de loi de finances pour 2024.
Une autre question de principe
Cette prudence du ministre, est-elle dictée par l’opposition du Medef à tout accroissement de la pression fiscale? C’est probable. En tout cas, ils ont dit clairement, dans une tribune accordée aux Echos, que les entreprises ne pouvaient pas continuer à financer une mobilité insuffisamment tournée en direction de leurs salariés, alors même que la recette revêtait un caractère très dynamique. « Assises sur la masse salariale, les recettes du VM n’ont cessé de croître à un rythme supérieur à celle-ci. Les entreprises sont les premières contributrices au financement des transports publics. Pourtant, nous n’avons pas voix au chapitre », cinglent des représentants du Medef.
Il existe des comités de partenaires, leur a répondu dans une adresse le Gart. Un lieu fait précisément pour des échanges. « Les entreprises vont, pour la première fois, entrer au conseil d’administration d’Ile-de-France Mobilités », a ajouté Clément Beaune.
Quant à Marie-Ange Debon, présidente de l’Union des transports publics, de porter le fer sur le front financier. « Les entreprises ont déjà bénéficié de 10 milliards de réduction des impôts de production. Un relèvement, partout, de 0,2 % ou 0,3 % du plafond du versement mobilité serait sans commune mesure avec cette somme », a-t-elle dit.
Les positions apparaissent d’autant plus irréconciliables que les collectivités ne forment pas un front uni sur ce dossier, loin s’en faut.
Les régions réclament une part du versement mobilité que perçoivent aujourd’hui uniquement les autorités organisatrices urbaines. Une nécessité, jugent-elles, au moment où le plan ferroviaire va mobiliser 100 milliards d’investissements publics d’ici à 2040, où le Pass Rail va générer de nouvelles dépenses, où les projets de RER métropolitains sont avancés. Point de désaccord avec les Intercommunalités de France. Son chef de file, Sébastien Martin (ex-LR), ne se prive pas de rappeler que son association s’était entendue avec les régions au moment de la discussion, en 2019, sur la loi d’orientation des mobilités (LOM) pour le maintien d’un statut quo.
Cette opposition prend momentanément le pas sur un autre sujet. Beaucoup de communautés de communes se sont abstenues de prendre la compétence « mobilité », sous la pression pas toujours amicale de régions désireuses de garder la main sur les transports, pointe sans ambages Sébastien Martin. Le président d’Intercommunalités de France n’a pas hésité, lors du dernier congrès de son association à Orléans à cibler Carole Delga, la présidente de l’Occitanie et de Régions de France. La LOM s’applique d’une manière très contrastée d’une région à l’autre du pays, sans qu’une explication rationnelle puisse nous éclairer sur le « pourquoi ». On en vient à des considérations plus politiques.
Sébastien Martin en appelle désormais au gouvernement. Il souhaite que des communautés de communes puissent de nouveau prendre la compétence, soulignant que la date butoir prévue par la loi « LOM », 2021, ne se prêtait guère à une réflexion sereine dans le contexte créé par la crise sanitaire. Or pour prendre la compétence, faut il encore disposer de moyens suffisants pour l’exercer, et de compétences techniques. Deux éléments essentiels qui feraient actuellement défaut à ces territoire.