Le fonctionnement de la concurrence est-il optimal? La question ne surprend guère dans le transport routier de voyageurs. Et le sujet enfle à mesure que l'on se rapproche de la présentation du projet de loi de décentralisation (1).
Ce projet de loi, rappelons-le, devrait autoriser un développement du transport routier longue distance à travers une double possibilité : l’une concernerait des liaisons interrégionales, l’autre des liaisons nationales, ces deux segments de marché n’étant pas ouverts (2). Ce sujet est d’actualité. La raison, si on ne se l'avoue pas encore complètement, est d'ordre économique, comme le démontrent deux études du Certu, à paraître prochainement (3). Surtout, c'est bien une logique de marché dont on parle, là où a prévalu depuis une trentaine d'années un régime quasi-exclusif d'appels d'offres. Chaque mode présente ses avantages. En période de difficultés économiques et de fortes tensions sur les budgets publics, le mode routier connaît naturellement un regain d’intérêt, pour les collectivités comme pour les voyageurs, encore faut-il user de la concurrence pour lui donner toutes ses chances.
L’Autorité de la Concurrence a un avis
Dans une décision du 27 février, l’Autorité de la Concurrence entend donner un avis concernant l’état de la concurrence dans le secteur du transport routier de voyageurs. Elle décide d’évaluer les conditions actuelles de la concurrence et notamment les structures et caractéristiques de l’offre, mais aussi la "manière dont l’ouverture à la concurrence de lignes interrégionales pourrait être encouragée" (2). Le point sensible touche à la situation actuelle, le régime d’autorisation qui a été adopté par la France porte, plutôt qu’une autre modalité, sur l’appel d’offres ou le libre accès. Ce régime "constitue-t-il une barrière à l’entrée ?", s’interroge la Haute Autorité. On peut se poser la question car pour le moment, en dehors de quelques initiatives timides du côté des Anglais (Megabus, la filiale de Stagecoach), le marché semble peu ouvert aux opérateurs européens. Les Espagnols par exemple, sont restés discrets, même s’il est vrai qu’ils ont fort à faire dans la Péninsule où les lignes routières sont en plein développement, au rythme de deux à trois appels d’offres par mois, en ce moment. Pourtant, il a suffi d'ouvrir le cabotage pour que des opérateurs se positionnent. Eurolines, bien sûr, la filiale de Veolia Transdev, très vite suivie par iDBUS, filiale de la SNCF, sans oublier le courageux Starshippers, filiale d'un indépendant adhérent de Réunir. Sur Lyon-Turin, à la suite de l'abandon de la ligne TER transfrontalière exploitée par les Courriers Rhodaniens, le transporteur s’est lancé dans l’exploitation, sous autorisation, d’une ligne internationale. Le Président de Réunir Alain-Jean Berthelet, ne cesse d’ailleurs de marteler, avec une certaine liberté de ton : "l'autocar a été bridé dans ses possibilités de développement par une politique privilégiant, à grands frais, la SNCF". Quant à la Fnaut, à travers une communication récente, elle serait plutôt encline à contester à la SNCF ses performances économiques, l’opérateur national étant à l’abri de toute concurrence. "Ce n'est pas le train qui est cher, c'est la SNCF", peut-on lire dans un document qui est moins une étude objective qu’un plaidoyer pour le train (4).
De la pertinence du mode
Mais le sujet n'est pas celui-là. Et la FNTV d’expliquer, par l’intermédiaire de Jacques Lagrange, le président de sa commission technique, "il convient de profiter au maximum des qualités de chaque mode, le train apportant vitesse, capacité et régularité, tandis que l’autocar bénéficie de sa flexibilité et de son moindre coût de fonctionnement". C’est d’ailleurs ce que l’on retrouve dans les études du Certu, à paraître. Pour les six régions observées à la loupe, un constat s’impose : les "politiques régionales… privilégient le mode ferroviaire". Peut-être PACA fait-il exception avec près de 51% de part de marché pour le transport routier. Sur la longue distance, les opérateurs se sont positionnés très vite, alors même que le marché était relativement peu ouvert : les Courriers Rhodaniens, entre Lyon et Chambéry en juillet 2012, et la SNCF, à travers le service iDBUS, en reliant Paris à Lille depuis juillet 2012 et Paris à Lyon depuis janvier 2013. Ainsi, pour un Lyon-Turin, si vous prenez iDBUS (à Lyon-Perrache), les tarifs sont variables : entre 25 et 55 euros, pour aller ou le retour. Starshipper, lui, au départ de Lyon-La Part Dieu, propose un tarif unique : 52 euros pour un aller/retour, ou 29 euros l’aller, ou le retour. Et tout le monde s’accorde à penser que le marché se développera si la loi évolue.
De l’intérêt des voyageurs
La loi doit évoluer pour une raison bien simple. Du point de vue des voyageurs, le premier intérêt de l’ouverture du marché du transport interurbain par autocar est clairement celle la création d’une offre de transport à des prix plus compétitifs que ceux proposés par les autres modes de transport. A titre d’exemple, en janvier 2013, un billet aller-retour Paris-Lille en autocar était proposé par les deux compagnies assurant cette liaison (iDBUS et Eurolines) à un prix compris entre 18 et 48 euros, tandis qu’un billet de TGV aller-retour en seconde classe coûtait, aux mêmes dates d’aller et retour, entre 68 et 112 euros.
L'Autorité de la Concurrence, dans sa décision du 27 février, formule clairement une autre idée : "Le transport par autocar offre une alternative modale à un coût raisonnable" pour la collectivité publique. Raison pour laquelle la pertinence comparée du train et de l’autocar est un sujet complexe (Certu). L’autocar ne nécessite pas d’investissements lourds, notamment de coûteuses infrastructures, et utilise des matériels roulants offrant des possibilités de redéploiement et un vrai confort. En outre, sur le plan environnemental, l’autocar présente aujourd'hui des atouts incontestables (70% du parc d’autocars en France répond aujourd’hui à la norme Euro IV en vigueur depuis 2006). Il est clair que pour l’Autorité de la Concurrence, c’est de la concurrence entre transporteurs routiers de voyageurs que devrait naître une meilleure offre pour les consommateurs, un meilleur rapport qualité/prix, ce qui plaide logiquement, à terme, pour l’ouverture de lignes interrégionales qui ne soient pas que des tronçons d’une ligne internationale.
(1) Le texte doit être examiné en Conseil des ministres le 27 mars (ou le 3 avril), puis débattu courant mai en première lecture au Sénat.
(2) Une loi du 8 décembre 2009 a modifié le code des transports et rendu possible via l’article L3421-2, la desserte de deux points du territoire national dans le cadre d’un service international régulier.
(3) L’une consacrée à un focus sur six régions et leur politique routière ; l’autre jetant les premiers éléments de réflexion sur une comparaison entre la route et le rail, s’agissant de services routiers réguliers.
(4) TER et transfert sur route : "La Fnaut face aux idées reçues", Bus et Car n°923.