Les corporatismes fourbissent leurs arguments contre une modification de la réglementation censée menacer leurs avantages, leur métier, voire le service public lui-même. Quoi de plus prévisible ? Le problème vient du fait que le service public doit évoluer. Et qu’il est multiforme.
Quel point commun entre le TGV, que Bruxelles ne considère pas comme du service public d’ailleurs (mais comme une activité commerciale), les trains d’équilibre du territoire et les TER ? L’évolution est inscrite au cœur des politiques "transport", ne serait ce que pour des raisons techniques. Le train et le tramway au XIXe siècle offraient des performances supérieures au mode routier, d’où leur développement. Les modes ferrés permettaient, qui plus est, un soutien à l’industrie métallurgique.
Aujourd'hui, le train a reculé, il demeurera là où il est le plus pertinent. D’autant qu’il ne sera plus possible de lancer de nouveaux projets ferroviaires coûteux. Chaque projet devra avoir une utilité socio-économique passée à la loupe. En définitive, l’histoire du transport ferroviaire s’est accompagnée d’une augmentation des parts du routier. Principe de mutabilité du service public oblige, il se poursuit par d’autres modes, d’où les services de substitution pour les lignes TER. L’autocar a pris le relais du train à hauteur de 20% de l’offre régionale.
Le risque de l’immobilisme
De ce fait, les régions sont devenues incontournables. Elles ont averti, via un communiqué de l'Association des régions de France (ARF), qu'elles "seront vigilantes à ce que les choix du gouvernement en faveur de la libéralisation des liaisons par autocar ne puissent se faire au détriment de l'action menée en faveur des TER (Transport express régional, ndlr) depuis de longues années". Il faut maintenir le service public, même lorsqu’il peut être utilement remplacé par une initiative privée. Alors qu’il devrait être là où l’initiative privée est absente, c’est sa raison d’être. L’initiative publique pourrait se déployer pour le développement des pôles d’échanges, l’accès à l’information voyageurs, plutôt que sur l’exploitation de service. Qui en parle ?
Les services routiers sont limités pour l’heure au cabotage sur les lignes internationales. Le gouvernement veut faire évoluer la donne. C’est précisément le ministre du Budget qui s’y attèle afin de développer un peu d’activité dans notre pays, un projet de "New Deal". D’où le projet de loi "activité", pour la croissance et l’emploi. Là, il ne s’agit pas de faire évoluer le service public, qui connaît des difficultés, ce n’est pas contestable (et mérite d’être défendu, pour des raisons sociales). Il s’agit d’offrir une nouvelle solution de transport à nos concitoyens et un marché pour les entreprises (et donc de l’emploi).
Lorsque les Espagnols sont passés aux lignes nationales routières, ils l’ont fait sur la base de concessions, héritées du modèle français. Qui en parle ? Lorsque les Allemands ont ouvert le marché de l’autocar, ils ont choisi l’open access. Que fera la France ? Espérons qu’elle trouve une politique qui complète l’offre en transport en commun, une alternative à la voiture particulière, qu’elle rendra possible des liaisons routières que le train n’assure pas, ou mal.
Sans parler du covoiturage, activité business dissimulée derrière un mode coopératif, au demeurant sympathique (d’où son innocuité apparente) qui n’a pas suscité chez les autocaristes de levée de bouclier identique à celle que préparent les cheminots (des autocaristes qui ne peuvent exploiter librement des lignes équivalentes puisque c’est l’objet du projet de loi, précisément).
Entre deux modèles, la concession ou l’open access, notre pays a l’obligation de faire un choix. De faire évoluer la réglementation. Ne revenons pas sur les arguments de la Cour des comptes, qui ne manqueront pas d’être contestés par la Fnaut (elle prépare une contre offensive). N’insistons pas sur le cas espagnol. Ce pays qui a également connu une politique de coordination rail-route, dispose d’un réseau ferroviaire moins étoffé que le nôtre.
Comparons avec l’Allemagne, même si des différences géographiques, démographiques et urbanistiques existent avec la France. C’est un pays dont l’opérateur ferroviaire fait traditionnellement du transport routier. Un pays qui pratique la protection du transport de proximité : il faut que la ligne par autocar excède 50 km ou que la durée du trajet excède une heure (entre deux haltes). Au dessus de ces critères, il est possible de développer une ligne (221 à ce jour, contre seulement 86 en 2013, un marché en expansion).
Les avantages d’une ligne par autocar sont nombreux : des liaisons directes là où avec le train il faut faire un changement, moins cher que le train, des temps de trajet parfois inférieurs… On parle d’écrémage… C’est un transfert de clientèle d’un mode à un autre, toute la question est de savoir quel mode, aujourd’hui, a une utilité sociale supérieure, pour un service donné. Prendra-t-on le risque de l’immobilisme ?
Dumping social ?
Hier, le train ou le tramway damaient le pion au camion (pour les pondéreux et les marchandises), et à l’autocar (messagerie incluse). Aujourd’hui, les cartes se redistribuent au profit du mode routier. Pour autant, le train conservera toute sa pertinence lorsqu’il assure une liaison rapide, économique et sûre.
Peut-on prétendre que c’est le cas de toutes les liaisons du type TET ? Ces lignes représentent chaque jour 340 trains (dont 30 de nuit) transportant environ 100 000 voyageurs. En raison de leur niveau de fréquentation, l'exploitation de la plupart de ces lignes est déficitaire depuis plus de vingt ans, à hauteur de 190 millions d'euros en 2009, hors rémunération de l'exploitant. Les besoins d'investissements nécessaires au renouvellement du matériel roulant s'élèveraient, selon la SNCF, de 1,5 à 2 milliards d'euros pendant quinze ans, mais n'apparaissent nécessaires qu'à compter de 2015. Pense-t-on avoir les moyens d’un tel investissement ? N’y a-t-il pas mieux à faire ?
L’anathème du dumping social tétanise. N’attaquons pas les corporatismes à l’œuvre. Songeons simplement qu’il s’agit d’ouvrir des emplois. Prétendre qu’il s’agit de recourir à une main d’œuvre bon marché, c’est mal connaître le marché de l’autocar, et par comparaison celui de l’autocar de tourisme. Formation, règles de sécurité, conditions de salaires, il ne s’agit pas de petits boulots, mais de vrais professionnels à l’œuvre. La France qui plus est, est le pays où les contraintes sont les plus fortes : plus d’heures de formation, plus de règles de sécurité, etc.
Les lignes nationales, si elles voient le jour, seront soumises aux normes françaises et non à celles de pays voisins (les autocars d’Eurolines ne sont pas immatriculés en France et leurs conducteurs ne sont pas soumis à la réglementation française, car les lignes sont internationales). En ouvrant les lignes nationales en France ont permettra non seulement de rééquilibrer le budget consacrer à "l’équilibre du territoire", mais on ouvrira un nouveau marché à des entreprises nationales, pour de l’emploi en France, au lieu d’attendre la concurrence européenne, sans réagir. Une concurrence qui arrivera tôt ou tard.