De façon prémonitoire, la Fédération nationale des transports de voyageurs (FNTV) a démarré son congrès, le 8 octobre dernier, par une table ronde sur la "bataille de la longue distance, avion, train, autocar". Logiquement favorable à l’autocar, le lobby routier a désormais des alliés : après l’Autorité de la Concurrence, en février dernier, la Cour des comptes récidive dans son soutien au mode routier.
Après un plaidoyer pour ce mode, lors d’un rapport rendu sur les autoroutes, les sages de la rue Cambon poursuivent leur démonstration à l’occasion d’un rapport rendu récemment sur le TGV. Un rapport à charge, incontestablement.
Pourquoi ? Le TGV a longtemps rimé en France avec modernité. C’est le train de l’avenir, celui qui relie à grande vitesse les principales capitales régionales. A noter que le projet n’est plus d’assurer le rayonnement de Paris sur les villes de province, mais de relier les villes de province à la capitale, parfois même entre elles, et c’est là que le bât blesse. Nombre de liaisons ne sont pas assurées entre villes de nos provinces. Il faut souvent passer par Paris. "Comment fait-on par exemple un Clermont Ferrand-Bordeaux ?", demande la Fédération nationale des transports de voyageurs (FNTV). Et bien par autocar.
L’autocar, la solution
La France n’est pas un pays qui a favorisé le transport routier collectif. En dehors des bus de ville, des Bus à haut niveau de service (BHNS), la route est livrée à la voiture particulière. Des pans entiers du pays ne sont plus desservis, c’est le cas du périurbain - et ne seront plus desservis - par les transports collectifs. D’où le succès du covoiturage sur la longue distance. Le réseau routier est là pourtant, qui assure la performance du mode… routier, même et surtout lorsqu’il est collectif (on songe aux couloirs réservés pour les bus et autocars, les bandes d’arrêt d’urgence qui transforment l’autocar en RER routier, etc.).
L’argument économique vient par ailleurs enfoncer le clou. Comme l’infrastructure existe, et pour cause, elle a connu un fantastique développement dans les années 60-70, elle n’est pas à construire. Les voies ferrées saturées, ou en rénovation, peinent de leur côté à répondre à la demande. Et la demande politique vient perturber le TGV lui-même, puisque la France est le seul pays à n’avoir pas fait coïncider parfaitement TGV et LGV, le seul pays a connaître le plus d’arrêts sur une ligne LGV. Une absurdité.
Avec le nucléaire, le TGV est toujours vu comme l'un des fleurons industriels français. La Cour des comptes, qui juge cependant son modèle à bout de souffle, relativise même ses avantages environnementaux et préconise de l'inscrire dans une offre de mobilité plus large.
Développée dans les années 70 pour relancer le transport ferroviaire face à la démocratisation de l'avion, "la grande vitesse est maintenant considérée comme un instrument majeur de l'aménagement du territoire, une technologie au service de l'Europe, un savoir-faire industriel à exporter, un vecteur de la "transition énergétique" et un outil de relance économique et de stimulation de l'économie locale", analyse la Cour des comptes. Et, dans leur rapport publié le 23 octobre, les sages de la rue Cambon remettent en question "la pertinence économique, sociale et environnementale de l'investissement public" dans ce mode de transport. L’heure est la diversification et à l’ouverture de la gamme des solutions de transport.
Elle rejoint ainsi l'avis de la commission "Mobilité 21", chargée de hiérarchiser les projets inscrits dans le Schéma national des infrastructures de transport (SNIT). La commission estime que "l'autocar moderne et prioritaire sur le réseau routier et autoroutier, longtemps ignoré, peut constituer une réponse performante aux besoins de mobilité collective de proximité lorsqu'il s'agit de desservir des territoires ruraux ou périurbains diffus". Le député Duron l’avait rappelé à plusieurs reprises, citant volontiers une ville comme Madrid, où les lignes d’autocar rivalisent avec les transports urbains, et sont connectées à eux, alors que dans notre pays l’intermodalité se décline à l’infini jusqu’à se parer d’un nouveau nom "programme" (comme l’eau hier, le transport aujourd’hui) : la mobilité courante. C'est en tous cas comme telle qu'elle est désormais mise en avant par François Ferrieux, président du syndicat mixte de l’Oise. Une idée émise par Arnaud Montebourg avant son départ, réformes structurelles obligent.
Une idée reprise récemment par le nouveau ministre de l'Economie, Emmanuel Macron. Celui-ci a fait part, la semaine dernière, de sa volonté de libéraliser le transport en autocar à l'échelle nationale (il n'est autorisé pour l'heure qu'à l'international), dans le cadre du projet de loi pour l'activité et l'égalité des chances économiques.
Un choix de plus en plus réduit pour les voyageurs
Le développement de la grande vitesse française s'est fait en étoile, au départ de Paris. Histoire classique du ferroviaire à la française, depuis l’étoile de l’ingénieur Legrand, ministre de fait de la IIIe République. Le TGV dessert aujourd'hui 230 destinations, pour un trafic plafonnant ces dernières années autour de 53,8 milliards de voyageurs au kilomètre. "La croissance du trafic TGV s'est depuis l'origine faite au détriment des autres trains longues distances (TET / Intercités) dont la fréquentation a été divisée par cinq au cours des trente dernières années. (…) Dans les faits, la SNCF réduit le choix ferroviaire au TGV en le substituant à d'autres trains pour les dessertes qu'il assure", explique la Cour des comptes, qui dénonce par ailleurs la "captivité" des voyageurs, qui accentue les "inégalités entre territoires".
En la matière, la France a du mal à souffrir la comparaison avec l’Allemagne, notre puissant voisin, si souvent montré en exemple. Ce pays a amélioré les lignes classiques pour les adapter à la grande vitesse, tandis que la France choisissait de créer de nouvelles voies. Résultat : "Le système ferroviaire à grande vitesse allemand transporte environ 70 millions de voyageurs par an, soit seulement les deux tiers du TGV français, ce qui n'empêche pas la Deutsche Bahn (DB) de voir son activité grande distance et sa marge opérationnelle croître".
Parallèlement, depuis 2013, l'Allemagne a libéralisé le transport en autocar. Ce marché est "en plein essor et s'impose comme un concurrent de la grande vitesse ferroviaire, là où l'offre de la Deutsche Bahn est soit trop coûteuse, soit insuffisante". Faut-il y voir une relation de cause à effet, un rapport systémique ? On serait tenté de le croire. Ce ne serait pas gênant si la France n’avait pas aussi un retard en matière de lutte contre les déficits.
En attendant, la bataille de la longue distance a belle et bien commencé. Le préavis de grève de la CGT Transports pour le 4 novembre prochain en est une des premières passes d'arme parmi les plus visibles. Selon la centrale syndicale, le gouvernement ferait la promotion d'une certaine forme de "dumping social" en voulant changer un système qui arrive visiblement au bout de ses capacités. Une façon comme une autre d'entamer le dialogue...