À la veille de la libéralisation du trafic international puis des lignes TER en France, Keolis, Veolia et Transdev attendent leur heure. Ils ont fait leurs armes outre-Rhin où la mise en concurrence de la Deutsche Bahn a reboosté la machine ferroviaire.
Après l'ouverture totale du fret à la concurrence en 2006, vient le tour du transport international de voyageurs en France, y compris le cabotage. Le 13 décembre 2009, la SNCF perdra en effet son monopole sur ces lignes. Deux candidats se sont déjà déclarés sur des liaisons très précises : Trenitralia sur la ligne Paris-Milan avec un arrêt à Lyon, ce qui concurrencera la SNCF sur son Paris-Lyon. Deuxième attaque, allemande cette fois : Berlin Night Express qui veut marcher sur les rails de la SNCF et de la DB sur le trajet Paris-Berlin.
Pour les lignes nationales et notamment le réseau TER, le marché est juteux : 3 milliards d'euros, de quoi attiser les appétits des transporteurs privés, français et étrangers. Seulement, il va falloir être patient car le règlement européen OSP qui organise la concurrence des marchés publics de transport s'oppose à une loi française, la Loti, qui assure le monopole de la SNCF (voir encadré).
En Allemagne, 30% des lignes ouvertes à la concurrence
En attendant la fin de ce feuilleton juridique qui ouvrira la voie à la déréglementation des lignes TER, les opérateurs ferroviaires privés français ont fourbi leurs armes en Allemagne : Veolia Transport en tête (2ème acteur ferroviaire en Allemagne), Keolis, Transdev-RATP Développement avec leur filiale commune Eurailco.
Les chemins de fer régionaux allemands ont été progressivement dérégulés depuis 1996. Et la Deutsche Bahn (DB) a été obligée de partager le gâteau. Les länders peuvent confier en délégation de service public leurs réseaux ferrés à d'autres transporteurs que la DB, l'opérateur historique. La DSP prévoit une enveloppe budgétaire anuelle de 7,2 milliards d'euros pour les transports régionaux. La DB a créé DB Regio pour le transport régional et DB Netz, l'équivalent de réseau Ferré de France (RFF) chargé de gérer les infrastructures.
Aujourd'hui, 30% du réseau ferroviaire allemand est ouvert à la concurrence, et une fois sur deux, la DB gagne les marchés. Contraint de composer avec des dizaines de concurrents, petits et gros, l'opérateur historique n'a finalement pas perdu de parts de marché car le trafic a progressé. 15% des lignes ferrovaires régionales et transrégionales sont exploitées par des nouveaux entrants et "d'ici à cinq ans, 40 à 45% des lignes seront mises en concurrence", projette Michael Lemarchand, responsable du développement ferroviaire France chez Keolis, filiale de la SNCF.
Le modèle allemand est-il transposable en France ?
L'ancien directeur de cabinet de Guillaume Pepy regarde de près le marché ferroviaire allemand, car la régionalisation puis la déréglementation ferroviaire allemande font figure de modèle en Europe. La dérégulation a été progressive et régulée outre-Rhin, contrairement à la libéralisation totale et brutale faite en Grande-Bretagne.
En dix ans, le gouvernement allemand a transformé, avec la participation des syndicats, un monopole public déficitaire (la DB affichait au milieu des années 90 un déficit de plus de
8 milliards d'euros et des pertes abyssales qui rappellent les 496 millions de pertes de la SNCF pour le 1er semestre 2009, principalement à cause de l'activité fret), en une entreprise internationale qui, aujourd'hui, gagne de l'argent malgré ses 70 concurrents. Contraint à composer avec la concurrence privée, la DB a dû revoir son modèle et ses méthodes d'exploitation pour retrouver un bon niveau de productivité.
La concurrence s'exerce sur le transport régional et sur l'interrégional. Par exemple, entre Veolia et la DB sur la ligne Berlin-Leipzig. Ne pouvant se battre sur la durée du trajet
(2 heures à bord des trains Veolia, 1 heure avec l'ICE de la DB), le Français avance l'argument du prix pour capter une partie de la clientèle : 15 euros au lieu de 36 euros pour une heure de trajet en plus. Aux clients de choisir. Avec un réseau plus étendu qu'en France, les parts de marché se sont développées pour les outsiders comme pour la DB. Le trafic, exprimé en voyageurs-km, a augmenté et la concurrence dans les régions a été bénéfique pour la qualité de services : nouvelles rames, nouvelles liaisons, pour un coût 25% inférieur à ceux de la DB. Les gagnants, ce sont les usagers qui ont le choix entre différents niveaux de services et de tarifs.
La concurrence risque d'être féroce
À titre de comparaison, le coût du km-train de TER en France est de 16 euros contre
7 euros en Allemagne. Pourquoi ? "Parce que l'opérateur privé arrive à jouer sur sa productivié et à optimiser la maintenance en travaillant de concert avec les constructeurs. Le plus amusant, c'est que la DB est capable maintenant de s'aligner sur ces tarifs et qu'elle se montrera sans doute très agressive sur le marché français quand il s'ouvrira", analyse Francis Nakache, dg d'EurailCo, la filiale commune TRansdev-RATP Développement en Allemagne.
Du côté de Keolis, on se dit serein. La filiale de la SNCF présente en Allemagne via sa filiale Eurobahn affûte elle aussi aussi ses rails outre-Rhin en attendant que sonne l'heure de l'ouverture à la concurrence des lignes TER en France. Elle compte bien s'appuyer sur la marque et l'expertise technique de sa maison mère, la SNCF. "1% du marché gagné, ce sont quand même 30 millions d'euros de contrat", calcule Michael Lemarchand. La concurrence risque d'être féroce et le nouveau géant mondial des transports né de la prochaine fusion entre Veolia et Transdev va créer des tensions sur les lignes.
Lire aussi l'article de Bus & Car n°830, avril 2009 : "La réforme ferroviaire, l'exemple allemand" (réservé aux abonnés)